Chroniques de Jean Belotti, Ancien Élève de l’Ecole Nationale de l’Aviation Civile, ancien Commandant de bord Air France, Docteur d’Etat es-sciences Économiques, diplômé du Centre Français de Management, ancien chargé d’enseignement à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonnne, expert près les Tribunaux Administratifs de Fort de France, Basse-Terre, Cayenne et Saint-Pierre et expert Honoraire près la Cour d’Appel de Basse-Terre
Question : Arrivé à Roissy n’ayant pas trouvé mes deux valises sur le tapis roulant, la préposée de la compagnie a noté mes coordonnées et le lendemain, elles m’ont été livrées directement chez moi, ce que j’ai apprécié. Mais comment se fait-il que des bagages soient oubliés, ce qui fait perdre aux compagnies, d’après ce que j’ai lu, des millions d’euros ?
Réponse : Il convient de faire le distinguo entre les bagages abandonnés (volontairement ou involontairement) dans les aérogares et ceux non délivrés à destination, car perdus ou égarés, puis retrouvés.
* Comme vous le signalez, il a été déclaré que ces 25 millions d’abandons coûtent annuellement aux compagnies plus de 2,5 milliards d’euros pour les réacheminer. Or, en constatant la façon dont se font les enregistrements sur tous les aéroports et l=attention que portent habituellement les passagers à leurs bagages – qu’ils comptent et recomptent au moment de l’enregistrement – ces montants paraissent fortement exagérés !
Cela étant dit, j’ai lu que, chaque année, 1.600 bagages seraient abandonnés dans les halls d’Orly et de Roissy, soit environ 4 par jour. Tenant compte que ces deux aéroports traitent quelques 90 millions de passagers par an, soit environ 250.000 par jour, l’oubli quotidien de seulement 4 bagages peut paraître plausible.
Attention, dans un aéroport, toute valise abandonnée est considérée comme étant potentiellement dangereuse, ce qui déclenche automatiquement l=intervention des démineurs. Après avoir installé un périmètre de sécurité, si la radiographie à distance :
– ne détecte rien de suspect, le bagage est ouvert manuellement par la police aux frontières qui le dépose aux objets trouvés, où son propriétaire devra payer une amende pour la récupérer ;
– il suspecte la présence d’un explosif (ce qui est extrêmement rare), il est aussitôt procédé à l=évacuation de l=aérogare et les démineurs récupèrent le bagage à l’aide d=un robot, ou le disloque avec un canon à eau très puissant.
* Pour votre cas, il est possible que vos valises n’aient pas été embarquées sur votre vol :
– soit parce que vous vous êtes présenté à l=embarquement tardivement, le chargement des bagages étant terminé et il a été décidé de ne pas retarder le départ pour le chargement de deux valises, sachant qu’elles seraient réacheminées sur un vol suivant ;
– soit parce que plusieurs bagages n=ont pas été embarqués pour diverses raisons d’exploitation (contrainte de chargement, correspondance courte, respect de la masse maximale au décollage,…) ;
– soit par une erreur d=aiguillage dans l’acheminement des bagages.
* D’une façon générale, il est rare que des bagages soient perdus, auquel cas des indemnités sont prévues par des conventions internationales. Ne pas oublier d’identifier vos bagages, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur (nom et prénom, adresse postale et E-mail, téléphone).
* Vous pouvez aussi avoir oublié un objet dans un avion, un salon privatif,… Dans ce cas, contactez de suite votre compagnie. Pour Air France : mail.objets.trouves@airfrance.fr.
Question : Quel est votre avis au sujet de l’augmentation envisagée de la taxe Chirac ?
Réponse : Rappelons de quoi il s’agit. C’est en 2005 que Jacques Chirac et le président Brésilien Luiz Inácio Lula da Silva – lors du sommet sur les « Objectifs du Millénaire » pour le développement – ont proposé la mise en place d’un impôt, dont les montants permettraient l’achat de médicaments dans le cadre de la lutte contre les pandémies (sida, paludisme, tuberculose) dans les pays dits “en voie de développement”.
* Mise en place en France, à partir du 1er juillet 2006, cette taxe s’applique aux billets pour tous les vols au départ de la France, quelle que soit la compagnie aérienne. Or, force est de constater que seuls six pays africains, le Chili et la Corée du sud, ont introduit cette taxe sur l’aviation, alors qu’aucun pays de l’Union européenne n’y a adhéré !
* Je ne résume pas, ici, les arguments figurant dans ma chronique d’octobre 2005, démontrant que cette taxe était non équitable et ne pouvait que contribuer, inévitablement, à fragiliser encore plus le transport aérien, industrie de plus en plus sensible à son environnement, ayant déjà été ponctionnée d’environ 200 millions d’euros en 2013 et plus d’un milliard depuis sa création.
* Certes, en son principe, cette initiative humaniste et solidaire est généreuse : « prélever quelques centimes sur chaque billet d’avion émis afin de constituer un fond et rendre accessible les soins aux plus défavorisés de la planète, et lutter contre les pandémies connues ».
* Or, il ne s’agit pas de centimes mais d’euros. De 1 à 40 euros, selon la classe et la nature du vol (domestique, intra-européen ou international). De surcroît, dans le contexte économique de la France, la décision du CICID (Comité interministériel de la coopération internationale et du développement) d’augmenter cette taxe de 12,4% en 2014, conduit mécaniquement à faire resurgir les griefs à son encontre. C’est ainsi que, tenant compte des considérations suivantes :
– taxer injustement les passagers aériens est une mesure discriminatoire, alors que d’autres industries ont été citées, comme la SNCF qui, sur les courtes distances, est un concurrent du transport aérien ;
– cette taxe créant une situation de concurrence déloyale du train vis‑à‑vis de l’avion est donc jugée contraire au principe d’égalité devant l’impôt, car ne concernant que le transport aérien ;
– le fait de voyager par avion n’est pas un privilège, un luxe qui justifierait que les passagers mettent, une nouvelle fois, la main à la poche. En effet, imposer cette taxe, c’est ignorer que la famille qui, après une année d’économies, à réussi à mettre de coté l’argent nécessaire pour partir en vacances en avion, va être injustement pénalisée. C’est ignorer, également, que les avions ne sont pas remplis uniquement par des “touristes”, mais par des “hommes d’affaires”, représentant des entreprises qui seront, elles aussi, injustement surtaxées, parce que leurs employés doivent se déplacer par avion, qui est souvent le seul moyen de transport à leur disposition ;
le syndicat des compagnies aériennes autonomes (Scara) a réagi en “demandant que cette taxe cesse de s’appliquer aux compagnies aériennes. Et, si elle était maintenue, qu’elle concerne également le TGV, ce qui permettrait d’éviter l’augmentation envisagée”.
* Sera-t-il entendu, alors que le gouvernement pourrait annoncer prochainement la mise en place d’une nouvelle taxe sur les billets d’avion pour financer CDG Express, le projet de ligne ferroviaire directe reliant le centre de Paris à l’aéroport de Roissy ?
Question : Le PDG d’Air France vient de nommer comme secrétaire général un de ses collègues, lorsqu’ils étaient membres du cabinet du ministre des finances. Que pensez-vous de cette façon de procéder par “copinage” ?
Réponse : Le PDG actuel est en train de réaliser une mission extrêmement complexe par le nombre des variables à prendre en compte : coût du carburant, concurrence, finalisation du plan de restructuration mis en œuvre, etc… Jean-Louis Baroux – dont la compétence et la connaissance du milieu aéronautique est bien connue (voir sa chronique sur www.tourmag.com) – tout en observant que le Président est sur la bonne voie, montre les difficultés majeures à surmonter avant d’atteindre les objectifs fixés. L’enjeu est d’importance puisque l’issue conditionnera le devenir de la compagnie. Il n’est donc pas anormal que le Président, pour mener à bonne fin sa mission, s’entoure de collaborateurs dont il connaît et apprécie les compétences.
Quant au parachutage de hauts commis de l’État qui quittent l’Administration pour occuper des postes de haut niveau dans des groupes privés, avec des salaires doublés, voire triplés, il est qualifié de “pantouflage”. Le fait est connu. Il s’agit donc d’une pratique courante. À Air France, certains “pantouflards” ont été performants, d’autres beaucoup moins !
Bien entendu, il n’est pas question, ici, de minimiser, les compétences de ces hauts fonctionnaires. Cela étant dit, d’aucuns se sont posé la question de savoir si, au sein même de la compagnie, il n’existait pas des membres de l’encadrement, également super-diplômés, connaissant parfaitement bien l’entreprise et les composantes du marché, donc possédant l’expérience et la capacité de prendre en main les destinées de l’entreprise ? Personnellement, j’en ai connu quelques-uns qui, de l’avis de plusieurs de leurs pairs, auraient pu être en mesure d’accéder et d’assumer les plus hautes fonctions.
Question : Je souhaiterais avoir votre avis sur le niveau de sécurité à Air France qui, d’après un récent article, est classée 22ème des 24 compagnies européennes, ce qui me fait froid dans le dos !
Réponse : Après l’annonce du classement de la compagnie, l’article cité met en cause la formation des pilotes, vaste sujet qui a déjà fait couler beaucoup d’encre et sur lequel je me suis appesanti longuement dans mes écrits. L’essentiel de ce qu’il convient de savoir ne pouvant être résumé dans une brève réponse, voici simplement cinq commentaires.
1.- Il faut se féliciter que d’aucuns mettent le doigt sur des anomalies ou insuffisances d’un système, contribuant ainsi à l’améliorer. Mais, dès lors que les griefs formulés ne sont pas fondés, la démonstration perd de sa crédibilité. En effet :
a.- Annoncer qu’Air France a enregistré 22 crashs depuis 1950, donc en 63 ans, n’a aucun sens. En effet, au début de la reprise du transport aérien international le nombre d’accidents était élevé. Il y a plus de quarante ans, les portraits de nos camarades disparus en service occupaient le haut des quatre murs dans mon bureau de président de syndicat.
b.- Déclarer qu’un A 380 a percuté un avion stationné sur le parking de l’aéroport de New York (JFK) parce que le pilote roulait trop vite, est une information fallacieuse. Ce n’est pas l’avion qui roulait trop vite, mais le défilement en accéléré de la vidéo présentant l’incident. Il s’agit d’une tromperie sur la réalité des faits qui ne peut que contribuer à entretenir une suspicion sur le sérieux du pilote et des agents des tours de contrôle. Dans ma chronique de mai 2011, j’ai présenté les éléments à prendre en compte pour comprendre ce qui s’était réellement passé, tout en indiquant la conclusion de l’enquête du NTSB (National Transport Safety Bord) : “L’avion roulait effectivement lentement, bien positionné sur le tracé au sol et la responsabilité du pilote ne pouvait donc qu’être dégagée”.
c.- Mettre en cause la formation, voire la capacité de l’équipage, à la suite d’une interruption de décollage tardive qui aurait pu être dramatique, due au pilote automatique qui, ayant été mis sur marche, a interdit l’avion de décoller, c’est se tromper de cible. L’anomalie se trouve dans le fait qu’à aucun moment un pilote automatique puisse être engagé (quelle qu’en soit la raison) alors que l’avion est en train de rouler. D’ailleurs, cet événement ayant été identifié dans plusieurs compagnies aériennes, Boeing a effectué une modification technique pour interdire tout engagement du pilote automatique au décollage.
2.- Mettre en cause la formation, donc la capacité des pilotes à assumer correctement leur mission, sous-entend qu’ils sont complices, puisque :
– les chefs pilotes accepteraient donc que l’enseignement dispensé à leurs équipages ne soit pas suffisant ;
– les instructeurs lâcheraient en ligne des pilotes, bien que sachant qu’ils sont insuffisamment qualifiés ;
– les pilotes, eux-mêmes, accepteraient de voler tout en étant conscients qu’ils ne seront pas en mesure de faire face à toutes les situations !
Conclusions inimaginables, donc irrecevables. Les pilotes ne sont pas des “kamikazes”. Ils ont tous des projets vie. Leur affubler un tel comportement c’est mettre en cause leur honorabilité, leur conscience professionnelle, ce qui est inacceptable.
3.- Quant à la formation, elle est conforme à des programmes qui sont officialisés. Ce qui est important à retenir c’est que la formation n’est pas figée. Elle est actualisée chaque fois qu’un nouveau système est mis en place ou lorsqu’une procédure a été modifiée. Elle est complétée, chaque fois qu’un événement imprévu a été la source d’un grave incident, voire d’un accident.
C’est ce qui a été fait au sein de la compagnie après un audit. C’est aussi le cas du décrochage en altitude qui, à la suite du vol Rio/Paris, a fait l’objet du rappel d’une procédure : “En septembre 2011, tous les pilotes d’Air France auront été formés à cette nouvelle manœuvre d’urgence, qui permet de récupérer un avion d’un décrochage”.
De toute façon, il ne sera pas possible d’établir des procédures pour toutes les situations imprévisibles qui peuvent se présenter en vol. Dans mon ouvrage “Indispensables pilotes“, j’ai cité de nombreux cas de pilotes, civils et militaires, qui ont réussi à éviter la catastrophe grâce à leur sang-froid, leur jugement, leur expérience, la solution n’existant pas dans les milliers de pages de la documentation de bord et n’ayant pas été envisagée lors de la formation.
4.- Certes, une formation, quelle qu’elle soit, peut toujours être améliorée et j’ai été amené à faire plusieurs suggestions en la matière. Mais la performance des équipages doit également prendre en compte les conditions de travail, qui, au fil des ans, ont beaucoup plus été impliquées que la formation.
Alors que le trafic aérien augmente chaque année, force est de reconnaître que le nombre d’accidents est en forte diminution, ce qui ne serait pas le cas si la formation était aussi mauvaise que les médias ne cessent de ressasser.
5.- L’étude se terminant par “le CV des experts judiciaires (ceux de l’accident du Rio/Paris) jette le doute sur leur indépendance et leurs compétences”, montre une méconnaissance de la façon dont se déroulent les travaux diligentés par les experts judiciaires et la gendarmerie du transport aérien. Il s’agit d’une grave accusation, totalement non fondée, ce que j’ai également longuement démontré dans mes écrits.
Question : Deux mois après le crash du Boeing 777 d’Asiana Airlines, survenu le samedi 6 juillet 2013, sur la piste 28 L de l’aéroport international de San Francisco, savez-vous où en est l’enquête ?
Réponse : Dans ma chronique d’août, j’écrivais qu’une des premières vérifications que les enquêteurs effectueront sera de savoir si la piste d’atterrissage disposait d’un ILS (“Instrument landing system”, donnant la position de l’avion par rapport à l’axe de piste et par rapport à la pente standard d’approche) ? La réponse a été apportée par la FAA (“Federal aviation administration”, agence gouvernementale chargée des réglementations et des contrôles concernant l’aviation civile aux États-Unis) : “l’indicateur de pente (glide slope) était inutilisable depuis le 1er juin et jusqu’au 22 août, pour cause de travaux d’expansion”. C’est ce qui explique pourquoi l’équipage a effectué une approche à vue, alors qu’après un vol de plus de 10 heures, le choix se porte généralement sur une approche automatique, même par beau temps.
Certes, le fait que ce type d’approche soit de moins en moins pratiqué n’explique pas, à lui seul, la survenance du crash, mais c’est un facteur contributif non négligeable. Cela a été confirmé par la FAA qui a constaté “un nombre plus élevé que d’habitude” d’atterrissages à vue manqués par des pilotes de compagnies asiatiques,… donc, toujours, après un très long vol.
Probablement, comme solution de secours, la FAA a recommandé l’utilisation du système de guidage par GPS, pour les atterrissages sur les pistes 28L et 28R. Or, si le GPS peut être utilisé comme moyen complémentaire, son utilisation comme moyen unique d’approche – qui nécessiterait, de surcroît, un entraînement supplémentaire – ne me paraît pas être une bonne solution. En revanche, une recommandation d’entraînement aux approches visuelles aurait été la bienvenue.
Question : Avez-vous des informations sur les nouveaux textes concernant la durée de temps de vol, envisagés par les autorités européennes ?
Réponse : Je n’ai pas encore pris connaissance de la proposition finale de réglementation concernant les limitations de temps de vol (Flight Time Limitations – FTL) publiée par l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA). Ce qui est connu, c’est que le principal syndicat des pilotes français, ainsi que d’autres syndicats de pilotes européens, ont aussitôt appelé les institutions européennes à ne pas soutenir cette réglementation qui met clairement en danger la sécurité des vols, et en conséquence celle des passagers dans le ciel européen, estimant que cette proposition va autoriser :
– des temps cumulés d’éveil extrêmement longs – plus de 22 heures ! – au moment de l’atterrissage, à l’issue de longues périodes d’astreinte et de longs temps de vol ;
– des vols de nuit à la durée portée à 12 heures, alors que les études scientifiques ont fixé la limite à 10 heures ;
– la possibilité de contourner des règles strictes sur les horaires de service, en contradiction avec les rythmes circadiens, à l’image des enchaînements de départs très matinaux ;
– des équipages d’astreinte sans limitation de durée, avec impossibilité de planifier leur sommeil pendant de nombreux jours.
Bien que plusieurs études et rapports aient montré le rôle déterminant de la fatigue dans la survenance d’accidents, il reste à espérer que les arguments avancés par les syndicats seront entendus et pris en compte. Une façon de convaincre serait de faire assister les décideurs à des séances de simulateurs (avec diverses pannes,…), non pas avec des équipages se présentant aux horaires habituels, mais avec des équipages venant d’atterrir après un vol de 14 heures !
Voilà un excellent papier, neutre et factuel, qui démontre si besoin était l’incompétence des pseudo “experts aéronautiques” qui n’arrêtent pas de vomir sur notre compagnie nationale.
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