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AirAsia X © Vmenkov

Chroniques d’avril 2011

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AirAsia X © Vmenkov

RÉPONSES AUX QUESTIONS DES LECTEURS

Question : Une compagnie asiatique venant de lancer des vols low-cost en France, avec des tarifs incroyablement bas, ne faut-il pas craindre une détérioration du niveau de sécurité des vols ?
Réponse : Il s’agit de la compagnie à bas coûts d’Asie Air Asia X, dont le premier A340, après s’être posé à Orly, est reparti pour Kuala Lumpur, avec les premiers passagers français. Cette compagnie est la filiale long-courrier d’ Air Asia. Lancée en 2007, cinq ans après Air Asia, elle dispose d’une centaine d’avions et a prévu de doubler sa flotte. Pour savoir si elle est-elle viable, il convient de savoir qu’une des principales cause d’échec des low-cost long-courrier est :
– l’impossibilité d’assurer des vols quotidiens, donc d’être attractives auprès des hommes d’affaires ;
– le manque de trafic de correspondances permettant de réaliser de bonnes recettes.
Or, au sujet des coûts, la compagnie profite de la faiblesse des salaires asiatiques et au sujet des correspondances, elle est en mesure de proposer aux passagers français des correspondances vers toute l’Asie. Noter également que les principales low-cost n’ont enregistré aucun accident, depuis des années, alors que, dans l’hexagone, elles ont transporté 19% des passagers français et près de 30% en régions. En 2010, leur trafic a enregistré une hausse de 5,75% (28 millions de passagers), hausse supérieure à la croissance globale du trafic de 1,3% (152 millions de passagers).

Question : Ayant appris que le système d’oxygénation des toilettes de certains avions serait désactivé, cela ne constituerait-il pas un risque en cas de dépressurisation ?
Réponse : Depuis le 7 mars 2001, conformément à une consigne de la FAA (équivalant américain à notre Direction de l’Aviation Civile), sur certains avions (américains, canadiens et français), le système d’oxygénation dans les toilettes des avions a été désactivé pour des raisons de sûreté : Peur qu’un passager puisse démonter ce système pour se l’approprier et en faire une petite bombe. Il s’agit uniquement des délivreurs d’oxygène chimique, situés juste au-dessus des toilettes et non pas des délivreurs d’oxygène gazeux. Pour Air France, par exemple, cela ne concerne uniquement que la flotte d’A320 et trois A340.
Conséquence : Sans oxygène dans les toilettes, une dépressurisation, à 40.000 pieds, entraîne une perte de connaissance, avant que l’avion soit redescendu vers une altitude respirable sans apport d’oxygène, vers les 14.000 pieds.
Mesure palliative : Étant donné qu’au cours des huit derniers mois, une vingtaine d’incidents de dépressurisation, ont été recensés dans les compagnies européennes, les syndicats de pilotes ont demandé d’installer le générateur en dehors des toilettes, voire de placer à l’intérieur des toilettes des petites bouteilles d’oxygène portatives.
Affaire à suivre, …

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Question : Pour quelles raisons lorsque le coût du baril de pétrole augmente, le coût à la pompe augmente instantanément, alors que lorsque le coût du baril diminue, la réduction à la pompe se fait attendre. Même constat avec la surtaxe carburant sur les billets d’avion ?
Réponse : Cela résulte de la façon dont le stock est géré.
– Lorsque le prix du baril diminue, l’intérêt est d’écouler (vendre) le stock déjà existant, donc à un prix supérieur. On dit “First IN, first OUT”, ce qui signifie que le premier produit entré en stock (donc le plus ancien) est le premier à sortir du stock. C’est la raison pour laquelle – malgré la réduction annoncée par les médias – le prix de vente ne diminue pas instantanément, car celui qui est appliqué est celui du stock existant qui sera donc écoulé en priorité.
– Lorsque le prix du baril augmente, l’intérêt est de ne pas utiliser le stock déjà existant, donc à un prix inférieur. On dit “Last IN, first OUT”, ce qui signifie que le dernier produit entré en stock (donc le plus récent) est le premier à sortir du stock. C’est la raison pour laquelle – dès l’augmentation annoncée par les médias – le prix de vente augmente instantanément, car celui qui est appliqué est celui qui vient d’entrer dans le stock. En fait, cette façon de procéder ne devrait pas être utilisée par les grandes compagnies aériennes qui sont protégées par des contrats à long terme contre de fortes augmentations du prix du carburant. Malheureusement, force est de constater que les “surtaxes carburant” sont quasiment appliquées dès l’annonce de  l’augmentation du coût du baril !
Finalement, dans le premier cas, on tient compte du stock existant, alors que dans le second on n’en tient pas compte. Il existe une autre façon de procéder consistant, en fonction du coût des différentes quantités entrées en stock au fil du temps, de calculer un coût total moyen dudit stock. Mais cette méthode atténuant les effets des deux situations décrites, elle n’est donc utilisée que sur le plan “comptable”, mais pas sur le plan de la maximisation des profits.

INTERVIEW DE TOURMAG du 16 mars 2011

TourMaG.com – Quelles conséquences peut avoir la radioactivité de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima, sur un avion ?
Jean Belotti : Si l’avion vole à proximité des centrales nucléaires il subira les mêmes conséquences que celles des installations et personnes sur les lieux.

TourMaG.com – Y a-t’il un risque également pour les passagers et pour les équipages ?
J.B. : Il n’y a aucun risque, dès lors que l’avion ne traverse pas un nuage contaminé. Rappelons simplement, ici, que ce type de nuage ne s’arrête pas aux frontières géographiques d’un pays…. comme cela avait été dit à la suite de la catastrophe de
Tchernobyl ! En revanche, si l’avion traverse un tel nuage, étant donné que l’air de la cabine est régulièrement renouvelé, équipages et passagers peuvent être contaminés.

TourMaG.com – Est-on capable de détecter en vol une zone qui contient des particules radioactives, et peut-on l’éviter ?
J.B. : La seule détection qui a existé sur certains types d’avions volant à très haute altitude (Concorde) était celle des rayonnements cosmiques. Il s’agit des rayonnements ionisants, en provenance du cosmos. Ils sont constitués de deux composantes, l’une permanente, d’origine galactique, à laquelle s’ajoute une autre, plus sporadique, liée à l’activité du soleil. Ces radiations sont systématiquement enregistrées par un détecteur. En cas de dépassement d’un certain seuil, le pilote descend aussitôt à une altitude plus basse pour retrouver une intensité normale. Les avions de ligne actuels ne disposant pas de détecteur de particules radioactives émises par l’explosion d’une centrale nucléaire, les pilotes n’étant pas alertés de la présence de telles zones contaminées ne peuvent donc pas les éviter.

TourMaG.com – Sur quels critères se basent les compagnies pour décider d’arrêter ou de continuer leurs vols dans ces conditions particulières ?
J.B. : Les seuls critères retenus ne peuvent être que les informations diffusées par les différentes autorités concernées. En effet, les compagnies aériennes n’ont aucun moyen à leur disposition pour effectuer leurs propres mesures dans les espaces touchés. Or, étant donné que dans de telles dramatiques situations, les faits montrent que les informations d’une part sont souvent contradictoires et d’autre part évoluent en degré de gravité d’un moment à l’autre, il en résulte des comportements différents, dictés généralement par l’application du principe de précaution. C’est ainsi que les médias nous informent que des compagnies ont stoppé la desserte de tel ou tel aéroport, alors que d’autres non.

TourMaG.com – Une mesure telle que celle connue lors de l’éruption du volcan islandais – fermeture de l’espace aérien – pourrait-elle être prise ?
J.B. : Il est probable qu’une telle hypothèse ne pourrait être envisagée que dans le cas d’une explosion du type de Tchernobyl. « Cross fingers » !

TourMaG.com – Quels conseils peuvent être donnés aux passagers aériens ?
J.B. : Étant donné le peu de crédibilité qu’il convient d’attacher à la succession d’informations venant de toutes parts, la prudence la plus élémentaire est de reporter son voyage vers les zones susceptibles d’être irradiées et pour ceux qui sont sur place de quitter le plus rapidement possible lesdites zones, c’est ce que sont d’ailleurs en train de faire des milliers de personnes.

TourMaG.com – Ce ralentissement du trafic aérien aura-t-il un impact sur la sécurité des vols ?
J.B. : Aucun lien direct apparent avec la sécurité des vols. En revanche, il convient de noter qu’alors que l’Association Internationale des Transporteurs Aériens venait d’annoncer que l’industrie avait retrouvé une bonne santé et réalisé des bénéfices, la conjonction des effets du tsunami, des explosions des centrales nucléaires japonaises, de l’augmentation du coût du carburant, des mouvements sociaux (révolutions) en Libye, Egypte, Tunisie, Algérie,… va ralentir considérablement les voyages touristiques. Et, s’agissant de la prise en compte du risque de se rendre dans les pays cités, il est peu probable que des offres promotionnelles, même très alléchantes, modifieront le comportement des passagers potentiels, à tout le moins, à court-terme. Alors, avec l’impact sur l’économie du Japon et l’économie mondiale, force est de déplorer que c’est toute l’industrie du transport aérien qui sera fortement pénalisée, ainsi que le secteur du tourisme (agences, voyagistes, sous-traitants, hôtellerie,…)

Texte de la Conférence “Sommeil décalage horaire et vigilance” donnée par le Commandant Jean-Claude Bück, Polytechnicien, Ancien Président de l’Académie de l’Air et de l’Espace, au Palais de la découverte, le 4 décembre 2008.

On ne peut parler du sommeil comme d’un phénomène isolé. Il convient d’adopter une approche holistique, c’est-à-dire situer le sommeil dans l’ensemble de rythmes auxquels est soumis tout être vivant. Depuis Galilée – et probablement depuis beaucoup plus longtemps – on sait que la terre tourne sur elle-même et qu’elle tourne autour du soleil. Ces deux mouvements rythment la vie de tous les êtres qui habitent notre planète. L’étude de l’influence de ces rythmes sur les êtres vivants constitue la  chronobiologie.

LE RYTHME ANNUEL

Le premier de ces rythmes est le rythme annuel. Il est ressenti différemment suivant la latitude. En Guyane équatoriale, le soleil se lève et se couche, tous les jours, à la même heure et seule la fréquence des pluies marque une différence entre les saisons. Dans le grand Nord, alternent la nuit perpétuelle de l’hiver et le soleil de minuit en été. Ce rythme est fondamental chez les végétaux qui germent, poussent, fleurissent et portent des fruits, au gré des saisons. Il l’est encore chez les animaux à l’état de nature. Les saisons conditionnent leur comportement : hibernation, migration, amours, mues, etc… Il l’est toujours pour les rares sociétés humaines restées à l’écart de notre civilisation. Seul, l’homme dit « civilisé » est arrivé à s’en affranchir – presque totalement – puisqu’il est capable de modifier son environnement. Éclairage, chauffage, conditionnement d’air,… lui permettent de changer la nuit en jour et de créer des saisons artificielles. De plus, il est capable de se déplacer rapidement pour fui  la mauvaise saison ou d’inverser les saisons en changeant d’hémisphère. Enfin, son intelligence et son psychisme lui permettent de « conceptualiser » son plaisir, de l’imaginer et, par-là même, d’aller au-delà de ses limites naturelles. L’homme est capable de faire l’amour en toute saison et de se livrer à des excès alimentaires. Dans ce domaine, il a même déteint sur ses animaux familiers. L’homme est enfin capable de s’adapter à des conditions de vie « extra-ordinaires ». Il peut vivre sous l’eau … et dans l’espace. Dans des conditions moins extrêmes, il est courant qu’il contrarie la nature, par exemple :
– en se livrant à une débauche d’efforts aux sports d’hiver, pendant une saison où la nature nous pousse à ralentir notre activité ;
– ou en imposant un bronzage permanent à des peaux blanches, qui ne sont pas faites pour cela.

LE RYTHME CIRCADIEN

Le deuxième rythme auquel nous sommes soumis et qui nous intéresse plus particulièrement est celui de l’alternance des jours et des nuits, que les spécialistes appellent “rythme circadien” pour les latinistes ou “nycthéméral” pour les amoureux du grec.
Ce rythme est extrêmement important, même si nous sommes inconscients de la plupart de ses effets, à l’exception, bien sûr, de l’alternance sommeil/éveil. Et pourtant les chronobiologistes ont mis en évidence que ce rythme agissait :
– sur les fonctions biologiques (respiration, circulation, digestion, thermorégulation) ;
– sur les activités neuroendocriniennes ;
– et sur l’activité intellectuelle et psychique.
Tout le monde sait que la température corporelle varie avec un maximum vers 18 heures. Il en est de même avec la pression artérielle et le rythme cardiaque qui atteignent leur maximum le soir. Le tonus musculaire, le tonus oculaire, le volume des urines, des sécrétions lacrymales et salivaires varient également de façon régulière au cours de la journée. En allant chercher plus loin, on trouve que le taux de cortisol dans le plasma sanguin, le taux de lymphocytes dans le sang, sont soumis au rythme circadien, ainsi que l’activité mitotique (division) des cellules, qui régit la croissance et le renouvellement des cellules. Toutes ces variations ont leur traduction dans la vie quotidienne. Tout le monde est conscient que, dans une vie bien réglée, il y a un temps pour dormir et un temps pour être éveillé. Il est peut-être moins évident que certaines périodes de la journée sont favorables aux performances physiques. Les athlètes, eux, savent bien que l’on ne bat des records que l’après midi ou le soir, et que les épreuves éliminatoires qui se déroulent le matin sont un cauchemar. Dans un autre ordre d’idées, la capacité d’assimilation de substances médicamenteuses ou toxiques varie énormément au cours de la journée. Ceci explique peut-être en partie la
sensibilité des voyageurs transméridiens – et des navigants en particulier – aux intoxications alimentaires à l’occasion de repas pris à des heures décalées. L’efficacité d’un médicament peut varier de 1 à 4, suivant l’heure à laquelle il est administré. Des études sont faites sur certaines pathologies qui pourraient être liées à des altérations des rythmes biologiques. On espère pouvoir les traiter en prescrivant deux hormones antagonistes administrées à des moments bien précis. Les facultés intellectuelles n’échappent pas au rythme circadien. On a mis en évidence que, entre 3h et 6h du matin – au moment où la température est la plus basse – il y a une diminution importante de la capacité d’attention. Ce qui peut avoir des conséquences dramatiques. Quand vous écoutez les informations le matin, vous entendez souvent que le trafic est ralenti, voire arrêté sur une autoroute parce qu’un camion s’est renversé. Un camion ne se couche pas facilement. Il y a de bonnes chances que le chauffeur se soit endormi au volant. Le National Transport Safety Board (NTSB), organisme qui s’occupe de la sécurité de tous les moyens de transport aux Etats-Unis, estime que, chaque année, plus de 50.000 accidents de véhicules automobiles sont dus à des conducteurs qui s’endorment au volant. En France, on estime qu’un accident mortel sur trois est dû à l’endormissement.

L’armée de l’air israélienne programmait ses vols d’entraînement très tôt le matin pour profiter d’une température plus fraîche et d’un espace aérien peu encombré par le trafic civil. Confrontés à un taux d’accident élevé, ils ont décidé, après étude, de ne pas commencer les vols avant 7 heures du matin et le nombre d’accidents a décru très sérieusement. “Bison futé” devrait peut-être réfléchir avant de conseiller aux vacanciers de partir avant l’aurore pour éviter les embouteillages. Les pilotes de ligne ne sont pas différents des autres, mais ils ont l’avantage d’être conscients du problème, ce qui les a conduits à mettre en oeuvre des techniques de travail en équipage avec contrôle mutuel permanent pour maintenir le niveau de sécurité indispensable. Nous
verrons plus loin que ce n’est pas toujours suffisant. Les savants se sont, bien entendu, demandés si le rythme de 24 heures était fondamental et ce qui se passait quand on supprimait le régulateur solaire. On s’est rendu compte qu’il y avait un deuxième régulateur : le régulateur social qui fait que, dans un milieu donné, on se lève, on prend ses repas et on se couche à des heures qui, en moyenne, sont toujours les mêmes et qui varient suivant les populations. Les écoliers ont un rythme différent de celui des acteurs de théâtre. Le rythme des Anglo- Saxons n’est pas le même que celui des Méditerranéens. Les savants ont donc procédé à des expériences où l’on supprimait le régulateur solaire et le régulateur social. Des volontaires (comme le français Michel Siffre) ont vécu plusieurs mois au fond d’un gouffre où ne parvenait pas la lumière du jour, sans contact avec le monde extérieur et sans repère de temps, sans montre. Après une période d’adaptation un peu chaotique, ils ont adopté, inconsciemment, un rythme d’environ 25 heures, un peu plus long que le rythme solaire, et qui doit correspondre à une horloge universelle. Une autre expérience est celle des astronautes qui tournent autour de la terre et voient le soleil se lever et se coucher toutes les 90 minutes, mais qui gardent un repère de temps et peuvent se créer un repère social.

Dans la vie courante, le rythme naturel peut être perturbé de deux manières :
– par un voyage rapide trans-méridien vers l’Est ou vers l’Ouest. C’est le fameux décalage horaire ou « Jet lag » ;
– par le travail « posté », dont le plus courant est dit “des 3×8″. Pour faire tourner les machines toute la journée, on change les équipes toutes les huit heures. Le travail de nuit en est un cas particulier.
Ces perturbations ont des répercussions sensibles sur l’organisme, mais avant d’aller plus loin, deux remarques sont indispensables :
1.- Comme dans tous les domaines, les hommes sont inégaux. Il y a d’heureux élus qui n’en souffrent pas et d’autres pour qui les conséquences sont insupportables.
2.- Pour provoquer des répercussions sur l’organisme, il faut que ces perturbations aient une certaine durée. Une nuit blanche – qu’elle soit due au travail ou à la fête – ne provoque qu’une fatigue normale. Un aller et retour New York / Paris, avec un arrêt de 24 heures à New York, est fatigant, mais n’induit pas de décalage horaire. Il y a souvent chez les navigants une confusion entre la fatigue due au vol de nuit et le décalage horaire. Paradoxalement, un aller retour Paris/ Los Angeles, avec une escale courte, est moins fatigant que le même vol, avec un arrêt prolongé à Los Angeles.

LE DÉCALAGE HORAIRE

Lorsqu’on subit un décalage horaire, l’organisme est perturbé. Notons que le phénomène est plus marqué lors des vols vers l’Est, car l’organisme doit raccourcir son rythme. D’autre part, l’aspect psychologique a un impact, sinon sur l’importance des perturbations, du moins sur la manière de les vivre. On supporte mieux le décalage horaire quand on part en vacances que lors d’un voyage d’affaires. Ces perturbations résultent du décalage de l’horloge interne située dans le cerveau (très exactement dans les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus) et se traduisent par des troubles du sommeil qui sont les plus évidents sont : la fatigue ; la perte de tonus musculaire ; la fatigue psychique (qui, dans les cas extrêmes, peut occasionner des migraines et des dépressions nerveuses). Citons encore des troubles digestifs. Ils viennent se superposer à ceux dus au changement de régime alimentaire (le français qui part en Extrême-Orient passe du régime pain, viande, vin au régime riz, poisson, thé ou bière). Ce que l’on appelle “la tourista” – si elle est souvent provoquée par un manque d’hygiène alimentaire – n’est souvent qu’une réaction de l’organisme au changement.

COMMENT S’ADAPTER ?

Cela peut se faire naturellement, par l’effet conjugué du synchroniseur solaire du lieu du nouveau séjour et du synchroniseur social adapté au rythme de vie du nouveau milieu. Ce recalage est assez lent. On compte environ 1 jour pour 1h de décalage. C’est la raison pour laquelle les sportifs de haut niveau qui vont concourir au bout du monde devraient arriver sur les lieux 7, 8 ou 10 jours en avance ou alors juste avant la compétition. Il est paradoxal que, en ce domaine, les animaux soient mieux traités que les hommes. Les chevaux de course transportés par avion de Paris à New York courent le lendemain, voire le jour de leur arrivée et rentrent aussitôt en Europe. S’ils doivent rester longtemps aux Etats- Unis, on leur donne alors le temps de s’acclimater.
Des recherches sont menées dans plusieurs directions pour pallier les effets du décalage horaire :
1.- Par une préparation au voyage en anticipant par modification progressive et volontaire des heures de lever et de coucher. Ceci, accompagné d’un régime alimentaire basé sur l’observation suivante : les repas riches en glucides et pauvres en protéines favorisent l’endormissement en augmentant la sécrétion d’insuline, alors que les repas hyperprotéinés, pauvres en glucides, augmentent le niveau de vigilance et d’éveil. Cette technique est assez contraignante et inapplicable à ceux qui – comme les navigants – voyagent sans arrêt. On peut toutefois tirer les conséquences de cette observation dans la vie courante.
2.- Par le recalage chimique de l’horloge interne qui en est encore à ses balbutiements. Les meilleurs résultats ont été obtenus avec la mélatonine qui est une hormone sécrétée par la glande pinéale. Cette glande analyse la durée relative des temps  d’ensoleillement et d’obscurité et renseigne le cerveau par l’intermédiaire de la mélatonine. Il est toutefois risqué d’utiliser la mélatonine sans les conseils d’un médecin.
3.- Par l’utilisation intensive du rayonnement solaire. C’est la voie la plus prometteuse. L’idée de départ est simple : puisque le soleil est le régulateur fondamental, utilisons son rayonnement pour re-synchroniser l’horloge interne. Il suffit pour cela de s’exposer au soleil, de préférence au moment où la température du corps est la plus basse, c’est-à-dire dans la matinée. S’il n’y a pas de soleil, on obtiendra le même effet avec une lumière artificielle suffisamment intense et dont le spectre est identique à celui du soleil.

On trouve dans le commerce spécialisé des lampes qui reproduisent le rayonnement solaire, à l’exception des UV nocifs. Ces lampes sont également utilisées pour combattre le « blues de l’hiver » (état dépressif causé par le manque d’ensoleillement), en particulier dans les pays situés à des latitudes élevées, comme la Scandinavie où le soleil ne se montre que très peu pendant l’hiver. Prenons l’exemple d’un navigant qui revient d’un séjour aux Caraïbes, vers 10h du matin, heure de Paris. Si, au lieu de se coucher dans une chambre obscure pour essayer de dormir, il prend un bain de soleil sur sa terrasse, il se recalera beaucoup plus rapidement. Peut-être, qu’un jour prochain, les compagnies aériennes mettront à la disposition de leurs passagers des cabines d’héliothérapie à l’arrivée des vols. En attendant, les avions les plus récents, comme l’A380, ont un éclairage programmable pour simuler lever et coucher de soleil. Si on ne peut que prendre son mal en patience pour les pertes de tonus, s’il suffit de manger légèrement et d’éviter les excès d’alcool pour résorber les problèmes digestifs, il reste les troubles du sommeil qui sont les plus mal ressentis alors qu’on peut très bien s’en accommoder. Encore faut-il savoir de quoi on parle, ce qui n’est pas  toujours les cas. Nous allons maintenant aborder le troisième rythme auquel l’homme est soumis.

LE RYTHME DU SOMMEIL

Les Français sont champions du monde de la consommation de somnifères (inducteurs de sommeil, anxiolytiques, etc…). Il y a à cela plusieurs raisons :
1.- D’abord, le goût de l’auto-médication. On emprunte volontiers les cachets ou les pilules d’un proche en attendant des miracles !
2.- Ensuite, le désintérêt de la majorité du corps médical, lequel prescrit facilement un somnifère à un patient, pour lui faire plaisir ou pour s’en débarrasser, alors que l’usage d’un somnifère ne doit être prescrit que pour des indications bien précises et doit toujours être limité dans le temps. Les médecins français ont quelque excuse à cela : au cours de leurs études on ne leur parle du sommeil que pendant quelques heures, au cours du 2ème cycle (cf. Pr Guilleminault). Leur formation dans ce domaine est abandonnée aux visiteurs médicaux, lesquels sont plus soucieux de vendre leurs produits que de la santé publique. Il faut toutefois signaler que des Centres du sommeil fonctionnent maintenant dans les grandes villes. C’est peut-être le moment de citer Saint Augustin qui disait « Ce qui fait la force du mal, c’est la part de bien qu’il y a en lui ». L’usage d’un somnifère est bénéfique dans certaines circonstances très particulières liées à des souffrances physiques ou psychiques, à condition de l’utiliser pendant une durée limitée. Mais tout somnifère est une drogue qui a des effets secondaires sur l’organisme et peut parfois créer des phénomènes de dépendance sévères.
3.- L’abus de somnifères est dangereux pour la santé et peut conduire à une dépendance dure. Le sevrage est souvent très pénible.
4.- Enfin, les idées reçues typiquement françaises : « Il n’est de bon sommeil que la nuit » et surtout « Il faut 8h de sommeil par jour pour bien se porter ». Rien de plus faux ! 4 heures suffisent à certains, comme Edison, Napoléon, Churchill et, plus près de nous, Jacques Chirac. En revanche, d’aucuns ont besoin de 10 heures.
5.- Vouloir dormir au-delà de nos besoins n’est pas bon et il y a plus de gens malades de trop dormir que de vrais insomniaques.

LES CYCLES DU SOMMEIL

Tout le monde commence à savoir que le sommeil est constitué d’une suite de cycles dont la durée est d’environ 1h30. Pour une personne sédentaire, les cycles ont toujours la même durée et sont à peu près fixes dans le temps. C’est-à-dire que, si vous avez un cycle qui démarre à 22h et qui dure 1h30, il en sera de même tous les jours. Vos cycles successifs démarreront à peu près à 22h, 23h30, 1h, 2h30, etc… Notons, au passage, que ces cycles se reproduisent pendant la journée, certes sous une forme très atténuée. Un cycle de sommeil comprend plusieurs parties parfaitement identifiables sur un électroencéphalogramme.
* Phase 1 : L’endormissement.
* Phase 2 : Le sommeil léger qui peut être inconscient, pendant lequel il arrive que l’on rêve en restant conscient (rêve éveillé). Il est très facile de se réveiller dans cette phase. Pendant les phases 1 et 2, si on vous réveille, vous ne croyez pas que vous vous êtes endormi.
* Phase 3 : Le sommeil profond pendant lequel on est complètement coupé du monde extérieur. Il est difficile d’en sortir et l’on est traumatisé si on est réveillé brutalement pendant cette période. Une des caractéristiques de cette phase est le relâchement
musculaire. On prétend que, dans les temps anciens, les gardes suisses qui montaient la garde de nuit tenaient une pièce de monnaie au-dessus d’un bassin métallique posé à leurs pieds. S’ils s’endormaient, la pièce tombait et le bruit les réveillait !
* Phase 4 : Le sommeil paradoxal, pendant lequel on rêve, se caractérise, en particulier, par une paralysie des muscles, qui empêche de vivre le rêve. Pendant le sommeil paradoxal, les yeux sont l’objet de mouvements rapides et désordonnés. C’est la raison pour laquelle les Anglo-Saxons l’ont baptisé REM (“Rapid Eyes Movements”). Pendant le sommeil paradoxal, l’homme est en état d’excitation sexuelle ce que tout homme peut constater s’il se réveille, comme c’est naturel, à la fin du cycle, c’est-à-dire celui d’une période de sommeil paradoxal. Enfin, ce n’est pas dans cette phase que se produit le somnambulisme, mais dans la phase précédente. On sait maintenant que le sommeil et le rêve jouent un rôle fondamental dans la mémorisation et la consolidation de la mémoire. D’où l’intérêt d’apprendre ou de réviser ses leçons le soir, avant de se coucher. Si l’on réfléchit calmement à un problème avant de s’endormir, on est souvent surpris d’en trouver la solution au réveil. Les amateurs de mots
croisés peuvent le vérifier facilement. Et l’on passe au cycle suivant après un réveil qui est si bref pour les bons dormeurs qu’ils ne s’en aperçoivent même pas. Au début de la nuit, on a beaucoup de sommeil profond et peu de rêve. Au cours des cycles
suivants, la durée du sommeil profond diminue et celle du sommeil paradoxal augmente. Pour bien dormir, il faut s’endormir naturellement à l’heure de début d’un cycle et se réveiller naturellement à l’heure de fin d’un cycle. Si – à moins d’être un dormeur exceptionnel – on essaye de s’endormir n’importe quand, on n’y arrivera pas, on s’énervera et, quand l’heure de début du cycle suivant viendra, on sera trop énervé pour s’endormir.

De même, si l’on combat l’endormissement naturel pour voir la fin d’un film à la télévision ou finir le chapitre d’un roman, il faudra attendre le cycle suivant pour s’endormir à nouveau.
* Donc, première règle :
Attendre tranquillement le début de son cycle, sans s’énerver. Quand les premiers symptômes du sommeil se manifestent, éteindre la lumière et s’abandonner aussitôt. Ne pas essayer de finir le chapitre et même la page que l’on est en train de lire.
Bien entendu, il faut, auparavant, s’être mis dans les meilleures dispositions : repas léger à base de glucides, sans excès d’alcool ; pas d’exercice physique intense, ni de spectacle ou de musique trop excitants. Pour bien se réveiller, il faut se réveiller à la fin d’un cycle. Si on est réveillé au milieu du sommeil profond, par le téléphone ou par un réveil par exemple, on aura du mal à se réveiller et on sera fatigué pendant plusieurs heures. Il peut même arriver qu’un réveil brutal pendant le sommeil profond engendre un véritable sentiment de panique. On est alors incapable pendant plusieurs minutes d’évaluer une situation et de prendre une décision correcte.
* Donc, deuxième règle :
Si vous vous réveillez naturellement une heure trop tôt, ne cherchez pas à vous rendormir, car vous n’avez plus le temps nécessaire pour un autre cycle. Levez-vous, occupez vous et, à votre grande surprise, vous serez frais et dispos, même si vous n’avez dormi qu’un cycle. Si au cours de la nuit vous vous réveillez et n’arrivez pas à vous rendormir, ne vous énervez pas, prenez un livre, levez-vous, allez boire un verre d’eau et attendez le début du cycle suivant. Vous pouvez aussi pratiquer la relaxation qui est un excellent substitut du sommeil. L’électro-encéphalogramme montre alors de grandes similitudes avec celui du sommeil. Si vous n’avez pas assez dormi, vous serez en dette de sommeil. Vous pourrez facilement la compenser au cours de la journée par un sommeil bref (20 minutes pour ne pas tomber dans le sommeil profond) que vous prendrez au moment où vous en sentirez le besoin. En effet, les cycles du sommeil ne s’arrêtent pas pendant la journée, ils sont seulement atténués. Pour ce bref sommeil, installez-vous dans une position pas trop confortable (un fauteuil, de préférence à un lit) et laissez vous aller en vous suggestionnant : « je m’accorde un quart d’heure ». Vous tomberez alors dans un sommeil léger qui est souvent inconscient et, au bout du délai fixé, vous serez à nouveau en forme. C’est ce que les pilotes avisés font dans les cockpits. Un organisme aussi sérieux que la NASA a dépensé des centaines de milliers de dollars dans une étude, dont la conclusion était que les pilotes avaient de meilleures performances pendant l’approche et l’atterrissage quand ils avaient pris, au cours d’un vol long, une ou deux pauses brèves de sommeil (“NASA nap”). En fait, ce sommeil bref que certains, en France, appellent “pause parking”, devrait être utilisé par tous ceux qui ont un coup de pompe, associé au début d’un cycle atténué, mentionné plus haut, dans la journée, surtout par ceux qui ont des responsabilités : pilotes, chauffeurs routiers et décideurs. On peut dire du sommeil ce que Oscar Wilde disait de la tentation « Le meilleur moyen d’y résister c’est encore d’y succomber ».

Une pause parking au bon moment vous évitera de vous endormir contre votre gré et de provoquer des catastrophes. Avec de l’entraînement on peut aller encore plus loin. C’est ce que font les navigateurs solitaires qui tiennent des jours en ne dormant que par périodes brèves.

LE MANQUE DE SOMMEIL

La privation de sommeil induit des troubles importants : on se met à faire les choses machinalement, on est incapable de se projeter dans l’avenir. On a pu montrer que l’un des accidents de la navette spatiale était dû, en partie, à ce que le chef de la salle de contrôles n’avait pas réagi quand on lui a signalé une fuite sur un des circuits d’un des moteurs. L’enquête a montré qu’il n’avait dormi que deux heures par nuit, les jours précédents. Le manque de sommeil favorise le diabète et affaiblit les défenses  immunitaires. Enfin, un individu que l’on a empêché de dormir pendant très longtemps devient très réceptif à la suggestion. Ce que savent bien les responsables d’interrogatoires.

LES PATHOLOGIES DU SOMMEIL

Nous n’en citerons que deux :
– La première, parce qu’elle est très rare mais dramatique : la narcolepsie. Ceux qui en souffrent s’endorment en un instant n’importe où et n’importe quand, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer.
– La deuxième, beaucoup plus fréquente, c’est l’apnée – ou plutôt les apnées – du sommeil, qui sont liées à un relâchement du voile du palais qui provoque une obstruction des voies respiratoires, avec pour conséquences un ronflement et, par moment, un arrêt complet de la respiration. Ces apnées peuvent durer de quelques secondes à plus d’une minute et se renouveler plus de cent fois dans la nuit.
Il en résulte, pour le patient, un état de fatigue profonde et d’assoupissement fréquent au cours de la journée et, dans les cas d’apnée sévère induisant des arrêts de la respiration prolongée, des troubles cardiaques. Cette pathologie se soignait par une intervention chirurgicale sur le voile du palais qui est de plus en plus abandonnée au profit de l’utilisation, pendant la nuit, d’un appareil respiratoire qui, en créant une contre pression, empêche le voile du palais d’obstruer les voies respiratoires. On prescrit maintenant des orthèses qui, en décalant la mâchoire inférieure libèrent le passage de l’air et sont moins contraignantes.

LE SOMMEIL INCONSCIENT

Nous avons vu que le sommeil léger pouvait être inconscient. Il peut même être associé à une forme de rêve particulier que l’on pourrait qualifier de rêve éveillé que l’on peut, en partie contrôler, ce qui fait croire que l’on ne s’est pas endormi du tout.
Il vous est probablement arrivé, au volant de votre voiture, de sentir le sommeil vous gagner, de lutter pour rester éveillé, d’ouvrir la vitre, de mettre la radio, de faire une embardée et de dire : « J’ai failli m’endormir ». En réalité, vous vous êtes endormi et le relâchement musculaire qui s’ensuit vous a fait diminuer la pression du pied sur l’accélérateur provoquant une décélération soudaine, ou bien le poids de votre main sur le volant a provoqué une embardée, ou bien vous avez mordu sur le bas coté, ou n’importe quoi d’autre vous a réveillé d’un sommeil inconscient.Ceux qui ne se sont pas réveillés ne sont peut-être plus là pour témoigner.

L’endormissement est une des causes majeures d’accidents sur les routes, au même titre que la consommation d’alcool. Les deux phénomènes pouvant être liés, puisque l’alcool est un inducteur de sommeil. Pour ne pas s’endormir au volant, une seule règle : s’arrêter aussitôt que l’on ressent les signes précurseurs du sommeil et non pas systématiquement toutes les deux heures, comme le préconise “Bison futé”, et pratiquer la pause parking qui vous fera perdre 20 minutes, mais qui vous sauvera peut-être la vie. L’endormissement inconscient peut aussi bien se produire dans les cockpits. Mais, avant d’aller plus loin, je voudrais vous dire quelques mots d’une qualité dont doit faire preuve un pilote en fonction, il s’agit de la vigilance : capacité d’apporter une attention soutenue à un certain environnement pour rentrer en action si cela s’avère nécessaire. Pour être vigilant, il faut être en bon état physique et mental, être motivé et disposer d’information :
– Condition physique et mentale : Si on est fatigué, épuisé, sous l’influence de l’alcool ou d’un médicament inapproprié, si on a fait un repas trop copieux, il est difficile d’être vigilant.
– Motivation : Si vous êtes intéressé par ce que vous faites : chasse, pêche, pratique d’un sport, si vous regardez un film d’action ou lisez un roman policier haletant, il est facile d’être vigilant.
– Information : L’homme ne supporte pas l’absence d’information. Vous pouvez regarder un feu de bois dans la cheminée pendant des heures. Les flammes en mouvement perpétuel sont de l’information. Vous n’êtes pas capables de concentrer votre regard sur un foyer vide. Prenons un meilleur exemple. Vous êtes dans votre voiture, arrêté à un feu rouge. Vous n’êtes pas capables de fixer cette lumière rouge. Vous regardez autour de vous, vous parlez à vos passagers, peut-être regardez-vous la jolie fille dans la voiture à coté de vous et, quand le feu passe au vert, vous ne le remarquez pas jusqu’à ce que la voiture derrière vous klaxonne. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas d’information dans un feu rouge fixe.
Au cours d’un vol long courrier, lorsque l’avion est en pilotage automatique, dans les régions où les contacts radios sont rares, il n’y a pas d’information dans un tableau de bord sur lequel rien ne bouge. Il est donc très difficile de rester vigilant. Les responsables d’une centrale atomique sont exactement dans la même situation : quand tout va bien, rien ne bouge dans la forêt d’instruments qu’ils ont sous les yeux. Lorsque j’étais inspecteur à l’Organisme du Contrôle en Vol (OCV), on m’a demandé de
remplacer au pied levé sur un vol Paris/Djibouti un instructeur tombé malade. Le vol de retour s’est effectué de nuit, avec le copilote aux commandes. Ce dernier, que j’avais essayé de mettre en confiance, était persuadé que j’étais chargé de le contrôler. Au cours du vol, je lui ai suggéré de faire une “pause parking” quand il en sentirait le besoin. Il a refusé, affirmant être en pleine forme. Quelque temps après, j’ai senti que ma vigilance commençait à s’estomper et, après avoir informé l’équipage, j’ai fait une pause de 20 minutes. À l’arrivée à Orly, le copilote décide de faire une approche manuelle et débranche le pilote automatique vers 10.000 pieds. Quelques minutes plus tard, le contrôleur d’approche lui dit : « par la droite cap Nord ». Le copilote ne réagit pas. Je répète à voix haute : « Par la droite cap Nord ». Il ne réagit toujours pas. Je répète plus fort sans succès. Je lui tape alors sur l’épaule. Il sursaute et je lui répète la consigne qu’il exécute aussitôt.Le reste de l’approche et l’atterrissage s’effectuent sans incident.

Arrivés au parking, je lui dis : « Tu vois, tu n’as pas voulu te reposer pendant le vol et tu t’es endormi pendant l’approche ». Il a juré ses grands dieux qu’il ne s’était jamais endormi. Je ne suis pas sûr que les témoignages du mécanicien navigant et d’un steward qui étaient dans le cockpit pendant l’approche l’aient convaincu. Dans un avion de ligne, cet endormissement n’a pas eu de conséquences, car il y a deux pilotes dans le cockpit et les consignes de travail en équipage veulent que toute action d’un pilote soit contrôlée par l’autre. Signalons que, dans les avions d’Air France, le personnel de cabine a pour consigne de prendre contact avec les pilotes toutes les demi-heures. Et pourtant…

J’ai eu l’occasion d’effectuer un vol cargo Dubaï/Saïgon/Hong Kong, programmé pour 9h30 de vol en 12h d’amplitude, ce qui était le maximum légal autorisé sans embarquer un troisième pilote. Décollage de Dubaï à 11h du soir. La charge embarquée était si importante que nous ne pouvions pas faire Dubaï/Saïgon sans nous arrêter à Bangkok pour rajouter du carburant, ce qui rallongeait le vol d’une heure et nous faisait déjà dépasser les limites, mais est tacitement autorisé pour terminer la mission. Arrivés à Saïgon, très fatigués, après la nuit passée en l’air, nous avons demandé au chef d’escale de faire une escale courte. Ce dernier nous a répondu que le système de déchargement mécanique du fret étant en panne, le déchargement manuel du fret prendrait six heures. J’ai alors demandé un hébergement pour que nous puissions nous reposer. On m’a répondu que la police de l’air vietnamienne ne nous permettait pas de quitter l’aérodrome et que nous devions rester dans l’avion, seul endroit climatisé, pendant la durée de l’escale, ce que nous fîmes, sans pouvoir fermer l’oeil, à cause du bruit des conteneurs qui s’entrechoquaient et des cris des manutentionnaires. Quand nous avons pu redécoller pour Hong Kong, une étape courte d’environ 1h15, il y avait plus de 15 heures que nous avions quitté Dubaï. Une demi-heure plus tard, nous étions en croisière, pilote automatique branché et j’ai entendu la sonnerie du SELCAL, système qui permet au contrôle aérien d’appeler un avion et qui n’est en général pas utilisé sur les étapes courtes, où l’on ne se sert que de la VHF. J’ai pris le micro et le contrôleur m’a dit : « Qu’est ce qui se passe, cela fait plus de dix minutes que nous vous appelons en VHF et vous ne répondez pas ? ». Nous nous étions endormis, le copilote, l’officier mécanicien et moi-même, sans nous en rendre compte. Sans l’intervention du contrôle, que se serait-il passé ? Il faut donc être conscient que l’endormissement inconscient est possible. Il est maintenant prouvé que des catastrophes – comme Tchernobyl et l’explosion de Challenger – auraient pu être évitées si les personnes chargées de surveiller des paramètres vitaux avaient pu se reposer convenablement avant l’accident. Lorsque l’on n’arrive absolument pas à s’endormir et que l’on veut pourtant se reposer – avant d’effectuer une étape longue par exemple – on obtient de très bons résultats en faisant de la relaxation, suivant des méthodes éprouvées (comme la sophrologie ou la méthode Schultz). Ces techniques de relaxation peuvent également être pratiquées au cours d’un vol aussi bien par les membres d’équipage que par les passagers. À ce titre, elles devraient être enseignées dans les écoles de pilotage. Elles permettent de mieux connaître son corps. Remarquons que les ondes émises par le cerveau au cours d’une séance de relaxation sont identiques à celles émises pendant le sommeil. Connaître son corps, connaître son sommeil, c’est commencer à se connaître soi-même, ce qui est une des clés de la sérénité et … de l’efficacité dans son métier.

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