9 décembre 2024

Air France A340 © abdallahh

A340 à la limite du décrochage

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Air France A340 © abdallahh

Interview de Jean Belotti suite à l’incident d’un vol Air France opéré par un Airbus A340

TourMag : En quoi cet événement est-il semblable au scénario du crash Rio Paris ?
Jean Belotti : En ce sens que cet avion, comme celui de l’AF 447, après une forte augmentation de son assiette, est passé en moins d’une minute de 35.000 à 38.000 pieds.

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TM : Pourquoi, cette fois, l’avion n’a-t-il pas décroché ?
JB : Simplement parce que la diminution de l’intensité des turbulences a été accompagnée d’une réduction de l’assiette de l’avion, avec retour à des paramètres de vols normaux, l’avion étant à 3 noeuds de la vitesse décrochage. Alors que sur les anciens avions classiques, l’avion décrochait dès qu’il passait sous une certaine vitesse minimum, on notera, ici, que l’avion est resté dans son domaine de vol, bien qu’ayant évolué à une vitesse inférieure de 70 noeuds à celle minimale d’évolution recommandée.

TM : Par quoi est limité le domaine de vol que vous citez ?
JB : Le domaine de vol aux altitudes de croisière des avions de ligne est très étroit. Les limites sont indiquées sur le tableau de bord et tout dépassement déclenche une alarme sonore. Pour éviter le dépassement de la vitesse maximum autorisée, deux solutions : réduire la poussée des réacteurs ou tirer sur le manche pour réduire la vitesse. Pour éviter de passer en dessous de la vitesse de décrochage, deux solutions : augmenter la poussée des réacteurs ou pousser le manche pour augmenter la vitesse.
Les changements d’altitude sont exceptionnels, car d’autres avions peuvent se trouver dans les voies aériennes plus hautes et plus basses. Ils ne sont effectués que dans le cas où les actions sur la poussée des réacteurs seraient insuffisantes pour maintenir l’avion dans son domaine de vol. Tous les pilotes, au cours de leur carrière, ont, lors de la traversée de fortes turbulences, été
amené, à augmenter puis réduire les gaz, plusieurs fois de suite, en fonction de l’évolution des gradients, et cela quelquefois pendant plusieurs minutes, tout en conservant leur altitude.

TM : Pour les non initiés, pourquoi parle-t-on, de vitesse en noeuds et en Mach ?
JB : L’anémomètre (ou badin) est un manomètre qui donne la vitesse d’un aéronef par rapport à l’air. Pour ce faire, il détermine la “pression dynamique” (qui est égale à la différence entre la pression totale et la pression statique) ce qui donne la vitesse indiquée (IAS : « Indicated Air Speed ») ou, plus précisément, la vitesse vraie (TAS : “True Airsped”, après quelques corrections).
La connaissance de cette vitesse est indispensable pour conserver l’aéronef dans son domaine de vol, c’est-à-dire entre une vitesse minimale, en dessous de laquelle l’avion ne vole plus et une vitesse maximale à ne pas dépasser. Il est essentiel de retenir que cette pression dynamique est fonction de la vitesse de l’avion par rapport à l’air ambiant. Or, étant donné qu’en prenant de l’altitude, la pression atmosphérique diminue – donc la densité de l’air également – il en résulte que vitesse propre de l’avion est supérieure à la vitesse indiquée lue par le pilote. Le machmètre, quant à lui, est l’instrument qui mesure la vitesse du son. Son unité de mesure est le Mach. Mach 1 équivaut à la vitesse du son. Dépasser Mach 1 (c’est-à-dire franchir le “mur du son”) peut engendrer des phénomènes vibratoires et aérodynamiques dangereux pour l’appareil. Il importe donc que le pilote sache précisément quand aura lieu ce franchissement. Or, la vitesse du son n’est pas constante. Elle varie en fonction de la température, donc de l’altitude : soit 1.224 km/h à 15°C ; 1.270 km/h à 40°C ; 1.190 km/h à 0°C ; seulement 1.060 km/h à – 56°C, température qui règne aux altitudes de vol des avions de ligne actuels, vers les 11.000 mètres. Alors, pourquoi deux instruments ? Un exemple très simple permet d’en comprendre l’utilité. Supposons un avion qui vole à une vitesse constante de 480 noeuds dans de l’air à -20 °C, avec une indication de Mach de 0.78. Dès lors que la température diminue – soit par ce que l’avion pénètre dans une masse d’air plus froide, soit que l’avion prenne de l’altitude – et tombe, par exemple, à moins 55°C, l’avion va donc, tout en restant à 480 noeuds, se retrouver à M 0.85. Si le Mach à ne pas dépasser sur ce type d’avion (MMO – Maximum Mach Operating) est, par exemple, de M 0.82, l’avion sera donc en dehors des limites de son domaine de vol, avec tous les risques que cela comporte. Il est donc nécessaire, lorsque l’on approche des limites du Mach à ne pas dépasser, de se référer au machmètre et non plus uniquement au badin.

TM : Lorsque la vitesse d’un avion devient trop faible, on peut comprendre qu’il ne puisse plus voler et décrocher à basse vitesse, mais comment peut-il décrocher à haute vitesse ?
JB : En fait, il ne s’agit pas de décrochage, mais d’un phénomène de compressibilité. À partir d’une vitesse à ne pas dépasser, l’écoulement de l’air devient supersonique sur l’extrados. Sans plus de détails, disons que les gouvernes perdent leur efficacité, d’où cette sensation d’inversion des commandes ressenties par les pilotes de chasse de la guerre 39/45. “On chevauche alors un
cheval fougueux” nous dit un ancien pilote militaire de cette époque. Il peut en résulter des détériorations de la structure de l’avion.

TM : On ne dit pas quel a été le fait déclencheur de cet incident qui aurait pu également se terminer par un drame ?
JB : D’après les informations citées, le facteur pivot ne serait donc pas une panne des sondes, mais d’un fort gradient de vent (+22 noeuds de vent effectif en 5 secondes), avec une vitesse atteignant Mach 0.88 (Le Mach maximum autorisé étant de 0.86), suivi du déclenchement de l’alarme de survitesse. Dans le cas où cela serait confirmé, la preuve serait administrée que la  précipitation et une mauvaise conseillère, puisque toutes les accusations portées sur le fonctionnement des sondes à l’origine de l’accident deviendraient alors non fondées.

TM : Cet incident sur Paris/Caracas, pourrait-il remettre en cause les premières conclusions du BEA qui faisait ressortir une responsabilité de l’équipage ?
JB : Le BEA n’ayant pas vocation pour utiliser le qualificatif de “responsabilité”, il a, conformément à sa mission, décrit les faits et les comportements de l’équipage. En revanche, ce sont les experts judiciaires qui, après prise en compte de tous les  événements du dossier – dont l’existence de cet incident survenu avant le vol AF447 – présenteront les responsabilités techniques éventuelles qui seront prises en cours par la justice pour dire le droit.

TM : Ce nouvel épisode va relancer encore une fois le débat entre Airbus et Air France sur les responsabilités, qu’en pensez-vous ?
JB : À la suite de tout accident, tout élément nouveau est systématiquement pris en compte, non seulement par les institutions, sociétés et associations concernées, mais également par les médias. Cela étant dit, force est de reconnaître qu’il est tout à fait anormal qu’un avion, parce qu’il vient de subir un fort gradient de vent, dépasse la vitesse maximum autorisée et, son pilote
automatique s’étant débrayé, prenne un taux de montée 5.000 pieds/minutes, passant de 35.000 à 38.000 pieds en moins d’une minute ! Pour le moment impossible de conclure. Les parties concernées présenteront leurs commentaires et laissons les enquêteurs et experts diligenter leurs travaux, dans le calme et la sérénité.

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